On me dit étrange et différente.
J'avoue que ce n'est pas totalement faux. J'ai des manies‚ expressions et gestes qui surprennent. Mais c'est comme ça. Laissant les préjugés aux idiots‚ ils leurs vont si bien ! Moi‚ je suis ce que je veux être‚ pas ce qu'on me demande d'imiter. C'est pour cela qu'en général‚ on me dit aussi sympathique que pénible. Vous voyez‚ ce n'est pas tout à fait faux. La différence fait peur‚ et l'originalité est un facteur de plus contribuant à mon aspect surprenant. Apprenez à me connaître‚ et je vous promets de faire de même.

Excentrique ? À ne point en douter. Certains me croiraient sortie d'une fable grotesque. Il est vrai que je suis un tantinet étrange pour ceux qui ne me connaissent pas. C'est vrai‚ on pourrait dire que les Démons ont une « tenue » à avoir. Des attitudes‚ de la noblesse ou de la force‚ que sais-je. Mais moi‚ j'ai choisi de rompre ces chaînes. Ces chaînes qui vous placent dans une case et vous y emprisonnent. Ah‚ que le monde est mal fait ! Encore une fois‚ je me dérobe à elles. À bas les convenances et apparences ! J'ai toujours su qu'il fallait que je sois moi-même‚ avec les risques que cela engendre. On me dit parfois peu saine d'esprit‚ moi j'ai l'impression que mon originalité déplaît. C'est comme ça‚ malheureusement‚ nous vivons dans les préjugés.

J'avoue être un peu trop ailleurs. Rêveuse‚ peut être un brin solitaire parfois‚ mon caractère est une palette de couleurs complètement mélangées. Parfois‚ je ne me retrouve plus. Des moments d'intenses tristesses me ramènent à une lucidité que je croyais perdue. C'est comme ça. Il y a des gens nets et parfaitement compréhensibles‚ et puis il y a ceux pareils à une eau trouble. Je ne trouve pas les mots. Paradoxe que je suis‚ je préfère encore cela que de me figer en une contrefaçon. Je fais peur‚ je me fais peur la première. Ces élans et envies incompréhensibles qui me composent‚ je les adore comme je ne les accepte pas. À en croire les dires‚ je suis perdue.

Alors je ris‚ je ris pour oublier‚ je ris pour danser sous le clair de lune‚ tandis que mon ami loup m'observe. Je préfère me fondre en des masques différents. Tout est faux. C'est pour cela que le monde est fou. Le monde est fou de créer pareille créature que moi. Je ne dirai pas que je me déteste. Ni que je m'aime. Disons que je me tolère. Je disais plus haut que l'on me disait peu saine d'esprit‚ et plus le temps passe‚ plus cela me fait rire. Je suis celle que je voulais être et que je ne comprends pas. Que dire ? Que je ne l'assume point ? Disons qu'il me faut du temps. Même une personne comme moi à ses faiblesses. Je ressens la solitude et la tristesse avec une vivacité extrême‚ mon esprit est brouillé. Cœur sensible et pensées étranges‚ me voilà bien. On dirait une humaine. Les humains sont des êtres magnifiques et merveilleusement complexes. À force de vouloir les connaître‚ serais-je donc sur une fausse route ?

Je crois bien que je suis réellement perdue.

C'est fou. Le monde est étrange et si beau. Et moi‚ je me sens impressionnée‚ une toute petite goutte d'eau dans un océan.

Au moins‚ on dira que je suis humble. C'est déjà ça.

Le monde est fou.
C'est une constatation à la fois étrange et très triste. Le genre de réflexion que se ferait un être déçu et aussi sombre qu'une nuit sans lune. Heureusement‚ ce n'est pas mon cas. Disons que c'est une question sans réponse. Depuis tout temps‚ les êtres peuplant notre monde se battent pour tout types de raisons‚ de la plus évidente à la plus ridicule. L'une des causes de ces incessantes guerres‚ est celle ci : Je ne suis pas comme toi. Et je crois que cette dite cause est l'une des problèmes régnant par ici. Et dans mon esprit‚ par ailleurs.

Mais laissez moi me présenter. Mon nom est Tsukiko. Me voici sur ces terres depuis 134 ans. Ces terres‚ théâtre des amours et des peines de chacun‚ je les connais par cœur. D'aussi loin que l'oiseau vole dans le firmament et les loups traversent les forêts‚ il me semble‚ ou je crois‚ du moins‚ que j'ai une vie plus que satisfaisante. J'aurai aimé naître sous la forme d'une fleur ou d'un renard‚ mais le destin en a décidé autrement. Me voici en tant que Démone‚ être horriblement maléfique et dangereux. Ce sont les croyances de certains‚ totalement dénués d'esprit. Tout les démons ne sont pas des monstres‚ je l'affirme avec force et conviction‚ me considérant comme quelqu'un de gentil. C'est cette gentillesse qui posa problème à mes parents.

Mon père se nomme Shinra. Démon gigantesque‚ sa fourrure est pareille à de l'or en fusion. Seigneur rivalisant avec l'astre solaire lui même‚ créature magnifique et royale‚ il dégage cette odeur si particulière et étrange de notre monde : celle d'un conquérant. Le moindre de ses pas fait trembler la terre. Immense‚ je l'ai toujours admiré pour sa force de caractère‚ et sa hargne presque remarquable. Il est de ceux qui restent‚ ceux qui osent et se battent avec la colère de mille hommes. Il est victorieux‚ et ne s'est jamais laissé marcher sur les pattes par qui que ce soit. C'est lui qui écrase les autres.

Ma mère porte le nom de Sayuri. Elle‚ c'est le démon qui vous observe entre les arbres‚ c'est la bête tapie dans l'ombre qui sera prête à attendre mille ans pour obtenir la chose qu'elle désire. De nature discrète et effacée‚ elle est toute de courbes délicates‚ élancée et légère. On dirait presque un oiseau. Elle court dans les plaines lorsque celles-ci sont battues par le vent‚ elle n'a pas peur et affronte le destin et ses aléas d'un regard calme et serein. D'une maturité étonnante‚ elle fascine autant qu'elle effraie. Nul ne sait qui de cache derrière ces yeux clairs et placides.

Ces deux être m'ont permis d'accéder à un monde qui me surprend encore. Un monde dont la laideur n'a d'égal que sa beauté. L'ombre et la lumière‚ mon existence vacille entre ces notions que je ne comprenais pas à mon jeune âge. Pourtant curieuse et ouverte d'esprit‚ je m'élançais à l'assaut des villages‚ cherchant des amis‚ des gens qui comprendraient mon réel intérêt pour eux. Mais bien vite‚ on me plaça à la grotte sous la surveillance de ma chère mère. Vous comprendrez‚ les humains sont laids‚ ils se disputent pour un rien et sont ignorants au possible. Simple bêtise d'êtres puissants se croyant au dessus de tout. C'est cette haine et fermeture d'esprit que je ne comprenais pas. Pour moi‚ Hommes‚ Démons ou autres formaient une harmonie qui ne devait être détruite pour rien au monde. C'était naïf‚ peut être‚ mais je croyais encore à une possible entente.

Comme l'oisillon prenant son envol pour le vaste ciel‚ vint le jour attendu. Celui où mes parents pourraient enfin se débarrasser d'un enfant qu'ils n'avaient jamais vraiment aimé‚ mais celui de ma toute adorée liberté. Sans un regard et sans une larme‚ je quittais la grotte avec aucune une once de tristesse. C'était ainsi. Je les appréciais‚ tout deux‚ mais j'aimais encore plus le monde sauvage et immense qui m'attendait. J'allais pouvoir briser l'imbrisable‚ rendre possible l'impossible. Je me sentais forte‚ fière‚ capable du meilleur comme du pire. Je me croyais plus vivante que jamais. Un sentiment merveilleux‚ comme lorsque vous courrez à travers les arbres‚ tendez vos mains vers un ciel plein à  craquer de timides astres. Dans mon départ vert l'inconnu‚ mes parents me donnèrent un présent. J'aurai du recevoir ce sabre plus tôt‚ mais l'on me jugeait inapte à manier une telle arme. Cette arme‚ c'est Himitsu.

Il se passa près de 50 ans sans événement particulier. J'avais appris à me taire‚ observer‚ comprendre. J'avais troqué mon apparence naturelle contre celle d'une chèvre‚ ou d'un agneau‚ à moitié humain. Cette apparence particulière était-elle encore un de mes caprices ? Peut être. Mais j'aimais cette sensation‚ cette impression d'appartenir à deux mondes. Cela ne m'empêcha cependant pas d'approcher les humains sous une forme semblable à la leur. Et bien vite‚ alors que je me dirigerai vers les bois‚ j'entendis que l'on parlait de lui. Yoru.

Yoru était‚ selon les dires‚ une créature semblable à un loup‚ un loup monstrueux‚ de fumée noire et à la force colossale. Il terrorisait les hommes non loin des bois. Il avait finalement été « neutralisé » par des Spiritualistes. En vérité‚ ce n'était qu'un prétexte pour rassurer les gens du village. On ne ment pas à un Démon. Curieuse‚ je me rendis dans dans l'antre de ce grand méchant loup‚ m'apprêtant à rencontrer celui qui deviendrait mon plus cher ami.

Ce loup me faisait plus pitié qu'autre chose. En réalité‚ il était juste mort de fatigue‚ et profondément souffrant. Je m'assis auprès de lui et l'écouta. Je ne compris pas grand chose‚ tellement il parlait vite‚ de manière saccadée‚ comme si sa vie ne tenait qu'à un fil. Toujours est-il que je deviens son amie. En gage de cette amitié solennelle‚ je nous fabriquais deux masques : pour lui‚ celui d'une chèvre‚ et pour moi‚ celui d'un loup. Ainsi‚ fut conclu notre « pacte ». Je m'attachais profondément à lui... Quand à Yoru‚ il s'était mis en tête de me protéger de tous. Mais j'appréciais plus que tout d'avoir une compagnie.

Encore un fait anormal pour beaucoup.
Oh oui‚ le monde est fou.
Terriblement fou.